« Ce fut (Vayéhi), lorsque Pharaon eut renvoyé le peuple, D… ne les dirigea point par le pays des Philistins, car il était proche ; parce que D… disait : de peur que le peuple ne regrette, quand ils verront la guerre et qu’ils ne retournent en Egypte. » (Chémot XIII, 17).
Le Or Ha’hayim s’étonne du choix du mot « Vayéhi » (ce fut) utilisé ici par la Torah plutôt que celui de « Véhaya », sachant que nos sages (Méguila 10b) nous enseignent que le mot « Vayéhi » exprime de la souffrance, alors que « Véhaya » annonce la joie. Et quoi de plus joyeux pour les enfants d’Israël, après deux cent dix ans d’esclavage, que de se retrouver enfin libres ?
Curieux également, que de la lecture littérale du verset ce soit le Pharaon qui les ait renvoyés d’Egypte, alors que c’est le Saint béni-soit-Il, Lui-même, qui les a libérés, et qui les a sortis des mains du Pharaon.
On peut aussi s’étonner de la fin de ce verset. A peine affranchis, libérés de ce pénible esclavage enduré pendant tant d’années, serait-il possible qu’ils puissent penser retourner en Egypte, si le chemin de la sortie avait été davantage proche ?
Le Rav Yitshak Dov Koppelman zatsal, Roch Yéchiva de Lucerne, rapportait le midrach (Rabba 20, 3) qui dit que le mot « Béchéla’h » est à comprendre dans le sens « accompagner » ; comme lorsque les anges le quittèrent pour Sodome, Abraham « les accompagna (léchalé’ham) pour les reconduire » (Beréchit XVIII, 16). Mais alors, il ne faudrait pas lire que Pharaon renvoya le peuple mais l’accompagna. Quelle en serait la signification ?
C’est que la dureté de l’exil en Egypte était dans l’exil spirituel de leur âme, rejetée et enfermée dans l’impureté et dans la matérialité de ce pays. La délivrance fut d’abord la libération de cette emprise du Pharaon. Elle se fit par étape, d’où les quatre langages de délivrance : « Je vous ferai sortir …Je vous sauverai … Je vous affranchirai …Je vous prendrai comme peuple.» (Chémot VI, 6,7). Ce troisième terme de délivrance : « Je vous affranchirai (Végaalti) par un bras étendu, à l’aide de châtiments terribles », se réalisera d’après le Sforno, lors de la traversée de la mer rouge, lorsque les égyptiens s’y noyèrent. Jusque-là le peuple se sentait encore esclave des égyptiens !
C’est parce qu’accompagner quelqu’un, nous dit le Maharal de Prague (Nétivot Olam, Nétiv HaTorah ch 1), c’est s’attacher spirituellement à lui et continuer d’être présent dans son esprit. Pharaon voulait en les accompagnant, rester lié par la pensée aux enfants d’Israël et demeurer leur maître dans leur subconscient.
Voilà pourquoi la Torah emploie le terme de Béchala’h, qui laisse entendre que c’est Pharaon qui renvoie les enfants d’Israël, en ce qu’il les accompagne mentalement. Et c’est l’explication du « Vayéhi », langage de tristesse, Pharaon ayant réussi à rester présent dans leur pensée, d’où la crainte d’un retour rapide à l’esclavage. C’est d’ailleurs face à la mer que les enfants d’Israël diront à Moché : « Quel bien nous as-tu-fait, en nous tirant de l’Egypte (…) De fait, mieux valait pour nous être esclaves des Egyptiens que de périr dans le désert. » (Id. XIV, 11-12)
Une fois la mer rouge traversée, les Egyptiens noyés puis rejetés sur le rivage, alors seulement le peuple réalisa sa libération : « l’Eternel, en ce jour, sauva Israël de la main de l’Egypte » (idem 30). « En ce jour », le Seigneur sauva et libéra (Yonathan Ben Ouziel) les Bné Israël de l’emprise morale et spirituelle qu’avait encore sur eux Pharaon.
Chabbat Chalom Oumévorakh