Dans la Parachat Kédochim il est écrit : « Que le salaire du journalier ne reste point par devers toi jusqu’au lendemain » (Vayikra XIX, 13-14). La Torah nous recommande de payer l’ouvrier en son temps et heure et de ne pas retarder son salaire au lendemain. Le commandement qui vient, au verset suivant, est celui de ne pas maudire son prochain. Curieuse juxtaposition ! Le Baal Hatourim explique : la Torah demande à l’ouvrier, dans un tel cas, de se rendre au tribunal pour réclamer ses droits, mais de ne pas maudire le coupable, en aucune façon.
C’est une limite qu’un homme lésé ne doit pas dépasser, bien qu’il soit dans une plainte légitime. Car cet ouvrier, qui a peiné et sué dans son travail, espérait à juste titre recevoir son salaire et rentrer chez lui avec de quoi nourrir sa famille. Lorsque le patron reporte ou refuse sa paye et qu’il lui faille retrouver les siens sans pouvoir satisfaire les besoins essentiels de ses enfants, l’ouvrier est alors prêt à insulter voire à maudire ce patron irresponsable. C’est là que la Torah l’arrête : « Bien que tu sois dans ton droit dans ce que tu réclames, maitrise ta colère ; tu ne peux porter atteinte à sa personne ».
L’homme, de par sa nature, face au comportement délictueux de son prochain, ne retiendra que la faute et négligera complètement toute qualité annexe qu’il puisse avoir. Que celui-ci faille à ses engagements, comme pour toute autre mauvaise conduite, il se verra perdre toute crédibilité. A nos yeux, il mérite sanction, offense et malédiction. La Torah nous enseigne ici à pondérer nos réactions.
La Guémara (Baba Kama 80) nous rapporte que rabbi Yéhouda bar Ilay appelé « le hassid » (le vertueux) souffrait du cœur au point, un jour, de crier de douleurs. Les médecins lui prescrivirent, alors, de boire du lait de chèvre chaud, tous les matins. On lui apporta donc, pour ce faire, une chèvre qu’on attacha au pied de son lit. Lorsque ses compagnons vinrent lui rendre visite, à la vue de cette chèvre, ils firent demi-tour en s’exclamant : « une voleuse dans sa maison et nous lui rendrions visite? ». C’est que nos Sages ont interdit d’élever du menu bétail sur la terre d’Israël, car ces bêtes se nourrissent dans le champ des autres, et c’est du vol. Mais par la suite, ils vérifièrent et dirent alors : « celle-ci à part, nous n’avons trouvé en lui aucune autre faute ».
Les commentateurs s’étonnent : rabbi Yéhouda était en danger de mort, situation dans laquelle toute transgression est permise, même un jour de Chabbat, si elle peut le sauver. De plus la chèvre était attachée au pied de son lit sans possibilité de se rendre dans le champ du voisin, pourquoi donc lui avoir tourné le dos ?
C’est qu’en fait, explique le Maayéné Ha’haïm, et comme nous l’avons vu précédemment, nous sommes prompts à juger l’autre et à vite négliger toutes ses qualités. Cependant les Sages, une fois sortis de sa maison, ne s’empressent pas de le condamner. Ils vont enquêter sur ses conduites, vérifier et déclarer ensuite qu’ils ne lui avaient trouvé aucune faute à part celle-ci.
Nous retrouvons pareil enseignement dans la paracha de cette semaine « Choftim ». Lorsque la Torah ordonne au vengeur de sang de tuer l’assassin responsable d’homicide volontaire, le verset qui suit précise : « ne déplace pas la borne de ton voisin » (Dévarim XIX, 11-13). Et le Baal Hatourim d’expliquer le lien entre ces deux versets : bien que tu aies le devoir de supprimer l’assassin, tu n’es pas autorisé à empiéter sur son territoire, à déplacer les limites de ses propriétés, elles appartiennent à ses héritiers!
Nous voyons qu’à plusieurs reprises la Torah nous demande de pondérer nos réactions, et particulièrement face à notre prochain lorsqu’il faute à notre égard. Prompts à réagir contre le coupable, il convient de nous rappeler ses qualités et les bonnes choses qui se trouvent en lui, afin d’adapter notre comportement à la mesure qui convienne.
Chabbat Chalom Oumévorakh