La Torah nous recommande, dans cette paracha : «… reprends ton prochain, et tu n’assumeras pas de péché à cause de lui » (Vayikra XIX, 17). Réprimander l’autre pour sa mauvaise conduite ? A condition de ne pas pécher, en ce faisant, et « de ne pas le faire pâlir de honte en public » (Rachi). Mais aussi, afin de ne pas «en porter, avec lui, la responsabilité » (Onkelos) ; c’est qu’au mont Sinaï( d’après le Séfér hassidim 283), les enfants d’Israël se sont portés garants les uns des autres (Sanhedrin 27b).
La Guémara (Baba métsia 31a) nous engage à intervenir, et pas seulement une ou deux fois, mais quand bien même le faudrait-il, jusque cent fois ! Cent fois? Si nos remontrances n’ont pas eu d’effet quatre-vingt-dix fois, quelques paroles de plus auront-elles un impact quelconque ?
Dans le Midrach Rabba (Béréchit 62,2) il est rapporté, qu’avant sa mort, on a montré à Rabbi Abahou « treize rivières d’huile balsamique » réservées pour lui, en récompense, au paradis. Rabbi Abahou s’exclama : « et moi qui pensais : En vain je me suis fatigué, c’est pour le vide et le néant que j’ai dépensé ma force. Mais non, mon droit est auprès de l’Eternel, et ma récompense auprès de D… » (Yéchaya XLIX, 4). Rachi explique « qu’en vain je me suis fatigué, parce que j’ai vu que je les réprimandais, mais qu’ils n’acceptaient pas mes paroles ».
Le rav David Povarski zatsal (de Poneivitz) expliquait qu’en fait chaque parole a un impact sur toute personne qui l’écoute, cependant cet impact est parfois très léger et insuffisant pour l’amener à modifier son comportement. La répétition des paroles allant dans le même sens finira par le pénétrer.
C’est ce que la Guéméra nous rapporte (Irouvin 54b), à propos de Rabbi Preida, qui devait répéter quatre cent fois chaque enseignement, à un de ses élèves, pour qu’il le comprenne. Un jour, Rabbi Preida (attendu pour une mitsva) devait sortir, ce qui déconcentra son élève, lequel n’avait toujours pas compris, même au terme des quatre cent fois. Rav Preida repris son enseignement, qu’il répéta encore quatre cent fois ! Une voix du ciel se fit alors entendre pour lui proposer de recevoir pour cela soit encore quatre cent années de vie supplémentaires, soit d’hériter avec toute sa génération du monde futur. Il choisit la deuxième proposition. La voix du ciel lui annonça qu’il bénéficierait des deux propositions.
Cet élève avait donc besoin de quatre cent fois pour comprendre. Si après trois cent quatre-vingt-dix neuf fois, il n’avait toujours pas compris, comment la quatre centième, lui aurait-elle permis de mieux comprendre? C’est qu’à chaque fois l’enseignement rajoute quelque chose dans la compréhension de l’élève. Et c’est l’ensemble des quatre cent fois qui lui aura permis de comprendre.
Rabbi Akiva avait essayé d’étudier dans sa jeunesse, mais n’ayant pas vu de réussite, il s’en était découragé. C’est après avoir observé une pierre creusée par l’eau d’une source, qui coulait goutte à goutte, qu’il décida d’aller étudier la Torah. Rabbi Akiva se demanda comment une goutte d’eau pouvait-elle avoir transpercé cette roche si dure. Il a alors compris que ce sont ces milliards de gouttes successives additionnées, qui triomphent des matières les plus dures. Mais si la première goutte n’avait pas eu d’effet, comment les suivantes auraient-elles pu en avoir ? Comment le trou se serait-il fait? C’est que chaque goutte avait eu un petit impact, fut-il infime, mais qui rajouté aux suivants avait réussi à percer la pierre. Il se dit alors, que même si son étude n’avait pas porté ses fruits à ce jour, elle avait certainement atteint son cœur et qu’il devait alors persévérer afin que le résultat puisse se voir.
A l’exemple de Rabbi Abahou, même si l’on pense n’avoir pas été écouté, on ne doit donc pas se décourager, ni taire ses remontrances, au prétexte qu’elles n’ont pas été acceptées. Faites en termes « polis et mesurés », elles auront toujours un certain impact, et un impact positif.
Chabbat Chalom Oumévorakh