Après avoir expliqué les rêves du Pharaon, Yossef lui conseille en conclusion : « Donc que Pharaon choisisse un homme prudent et sage, et qu’il le prépose au pays d’Egypte (…) qu’on impose d’un cinquième le territoire d’Egypte durant les sept années d’abondance. Qu’on amasse toute la nourriture de ces années fertiles qui approchent … » (Beréchit XXXXI, 33-36).
Le rav Eliyahou Lopian zatsal pose la question suivante : « Pourquoi fallait-il choisir un homme prudent et sage, quelqu’un d’intelligent, pour cette tâche, n’est-ce pas plutôt un homme sérieux, ordonné et consciencieux, dont l’Egypte avait besoin pour amasser et entreposer la nourriture des sept années d’abondance ? »
Le rav répond qu’étant donné que l’Egypte allait être pendant de longues années dans une particulière abondance, il fallait justement un homme sage et intelligent. Car pendant une telle période l’homme a tendance à négliger la nourriture, à en consommer sans réserve, convaincu que cette période perdurera encore de longues années.
L’homme sage saura, lui, anticiper la famine prévue, gardant présent à l’esprit qu’un jour viendra où chaque grain de blé sera denrée rare. Et donc il mettra en réserve, dès aujourd’hui, autant que nécessaire. Davantage encore, pendant ces années d’abondance, il prendra soin de ne pas gaspiller, ce qui fera plus tard la survie de l’Egypte toute entière. Il devra être le sage « qui voit l’avenir » (Tamid 32a) et pas seulement celui qui « sait » l’avenir, car qui se projette et prépare l’avenir, pourra lui seul, mener à bien cette mission.
Nos sages (Midrach Rabba Ruth 3, 3) nous enseignent : « Ce monde ressemble au jour de vendredi et l’autre monde au jour de Chabbat, qui aura préparé son vendredi, aura de quoi se nourrir le Chabbat. »
Dans ce monde-ci nous avons aussi de l’abondance, en temps et en moyens, qui nous donnent la possibilité et la facilité d’accomplir les Mitsvot. Mais cette abondance nous fait parfois somnoler, convaincus d’avoir devant nous largement le temps de préparer notre monde futur, au risque de laisser passer de nombreuses occasions bénéfiques. Ce monde est éphémère et représente quelques instants à peine au regard de l’éternité du monde futur.
On pourra ainsi mieux comprendre la Guémara (Bérakhot 12a) qui dit que les sages avaient demandé à Rav Hamnouna un chant en l’honneur d’un mariage. Il leur chanta : « Malheur à nous, car nous allons un jour mourir. » Curieuses paroles, et franchement pas de circonstance ! En fait, bien au contraire cette phrase se voulait stimulante pour les Hakhamim. Conscients de n’être que de passage, ils s’efforceront d’accomplir les Mitsvot avec plus d’entrain et d’enthousiasme.
Le rav Chakh zatsal rapporta un jour à ses élèves l’histoire d’un Rabbi, d’une cour hassidique, qui interrogea ses fidèles: « Si l’Eternel vous demandait comment, d’après vous, fallait-il créer le monde afin qu’il soit plus parfait que ce qu’il est ? » Les Hassidim confièrent leurs opinions, mais leur Rabbi affirma que, selon lui, le monde devrait être créé exactement comme D… le créa, parce qu’il est parfait ainsi. Le Rav Chakh, quant à lui, rajouta : « Je demanderai à l’Eternel de donner la sagesse aux jeunes et la force aux plus vieux, car lorsqu’on est jeune, on ne comprend pas vraiment le sens de la vie. Mais lorsqu’on le comprend, hélas nous n’avons plus les forces d’accomplir tout ce que l’on voudrait. Il manque donc la sagesse aux jeunes et la force aux plus anciens. »
Avant de mourir le Gaon de Vilna, prit dans ses mains ses Tsitsit et s’exclama : « Dans ce monde on peut accomplir des Mitsvot avec quelques pièces, mais dans l’autre monde, on ne pourra plus accomplir de nouvelles Mitsvot ! »
Chabbat Chalom oumevora’h