Lorsque Yossef raconte ses rêves à ses frères, leur réaction est vive, franchement hostile : « Quoi! Régnerais-tu sur nous ? Deviendrais-tu notre maitre? » (Beréchit XXXVII, 8). Ses rêves vont pourtant se réaliser, et Yossef, devenu Vice-roi d’Egypte, les verra se prosterner devant lui. De plus, au moment de l’affrontement entre Yéhouda et Yossef (début Vayigach) les autres frères se diront l’un à l’autre (Midrach Rabba 93,3) « les rois se disputent », reconnaissance implicite de l’aptitude à régner pour Yossef. Mais seule l’autorité de Yéhouda aura été reconnue et acceptée par eux, la proposition de Yossef-roi ne faisant pas l’unanimité.
Nous avons, ici, une allusion aux différents types de royautés, qui se succèderont dans l’histoire du peuple juif. D’un côté la royauté de la « maison » de David, descendant de Yéhouda, et de l’autre la royauté d’Israël, comme celle de Chaoul, ou celle de Yéroboam qui séparera le peuple en deux, et qui procède, elle, de la démarche initiale de Yossef, d’une certaine manière imposée, opposante voire clivante.
Le Rav Chimchon Pinkous, zatsal, fait remarquer des différences fondamentales : « Chaoul (qui descend de Binyamine, pas de Yéhouda) perdra sa royauté pour n’avoir pas tué Amalek, et ce pour une seule faute, tandis que David ne perd pas la sienne, même après avoir fauté à deux reprises » (Yoma 22, b). C’est que la royauté, de la «caractéristique-Yossef », dépend de la conduite du roi : s’il est Tsadik, Juste, son règne perdure, sinon il sera interrompu. Alors que la royauté de David, elle, ne dépend d’aucune condition, comme il a été dit à David : « J’élèverai à ta place ta progéniture et J’assurerai à jamais son empire… Je ne lui retirerai jamais ma grâce comme Je l’ai retirée à celui qui t’a précédé »(Divré Hayamim I, 17, 11-13).
Cette approche différente dépend des deux manières, par lesquelles D… peut vouloir diriger Son monde, que sont la justice et la miséricorde. Du principe de justice, seul le Juste est méritant, et tant qu’il le reste, il continuera de régner : c’est la Malkhout (la royauté) de la « maison » de Yossef. Par contre celle de « la maison de David » relève de la Miséricorde Divine et bénéficie d’un régime de faveur en ce qu’elle n’est pas strictement dépendante d’une conduite irréprochable du Roi.
Cette différence de traitement répond au principe de mesure pour mesure dans l’intervention de la Providence Divine. Car dans sa conduite Yéhouda se situe au-delà du simple principe de justice, il s’engage לפנים משורת הדין « lifnim michourat hadin » au-delà de la stricte justice. En retour D… lui accordera Sa générosité, Son jugement dans l’indulgence, et lui offrira une royauté sans condition, lifnim michourat hadin.
C’est que dans l’épisode de Tamar, supportant la honte, Yéhouda a reconnu devant le tribunal, où siègent son grand père Yitshak et ses frères, qu’il est, lui, responsable de sa conduite à elle et qu’il l’a condamnée à tort. Lorsque le Vice-roi d’Egypte exige la venue à lui de Binyamin, Yéhouda est prêt à perdre son monde futur, son Olam habba, (qu’il offre en garantie) s’il ne ramène pas Binyamin à son père. C’est un gros risque qu’il prend généreusement alors qu’il est bien conscient de « la dureté » de ce vice-roi d’Egypte et de ses réactions imprévisibles.
Il apparait clairement qu’une conception idéologique oppose Yéhouda à Yossef. La conduite du peuple juif et en retour la Hanhaga d’Hachem se fait-elle au niveau du din (rigueur absolue du principe de justice) ou bien au-delà du din ? (intervention d’une généreuse mansuétude pour adoucir les rigueurs). Pour Yéhouda le peuple d’Israël ne peut s’en tenir au strict din, le Machiah ne peut attendre que les enfants d’Israël soient méritants, et il nous faut une hanagua au-dessus du din. A la fin des temps viendra le Machia’h descendant de Yossef, mais c’est le Machia’h « fils » de David qui après lui, viendra nous délivrera de l’Exil.