Yossef amena ses enfants à son père pour qu’il les bénisse : « Israël étendit la main droite … sur la tête d’Ephraïm … et mit sa main gauche sur la tête de Ménaché ; il croisa ses mains, quoique Ménaché fut l’ainé ! »(Béréchit XLVII, 14). Croyant alors que son père confondait leur âge, Yossef intervient, et lui soulève la main : « celui-ci est l’aîné, mets ta main droite sur sa tête. » Mais Yaacov refuse : « je le sais mon fils, je le sais ; lui aussi deviendra un peuple et lui aussi sera grand mais son jeune frère sera plus grand que lui… » (Id.18-19)
Rachi rapporte le Midrach : « je sais qu’il est l’aîné, lui aussi deviendra un grand peuple : c’est de lui que sortira le juge Guideon, par l’intermédiaire duquel D… opérera un miracle. Cependant son frère, le jeune, le surpassera. Son descendant Yéochoua mènera la conquête de la terre d’Israël et enseignera la Torah. Le monde entier sera fasciné par son prestige et par son renom quand il arrêtera la course du Soleil dans le ciel. »
Pourquoi tant de versets sur la position des mains de Yaakov? Pourquoi Yossef ne peut-il se retenir d’intervenir ? Comment comprendre le comportement de Yaakov?
Le Rav Baroukh Mordékhaï Ezrahi dans son livre « Birkat Mordékhaï » nous explique que tous les faits et gestes de l’homme doivent être bien réfléchis. La droite, symbole du Hessed (la générosité) a préséance sur la gauche, symbole du Din (la rigueur). La main droite a une importance particulière dans bon nombre de Halakhot. Lorsqu’on prend un fruit, au moment de la bénédiction-avant- manger, il faut le tenir de la main droite. Egalement, le verre de vin du Kidouch, après l’avoir pris des deux mains, on retirera la main gauche pour ne le tenir que de la droite (Choulhan aroukh 183, 4).
Les moindres faits et gestes de Yaakov sont donc réfléchis. La Torah le souligne, ailleurs, par les termes qu’elle emploie : pour nous dire qu’il se met en route, « Yaakov souleva ses pieds et il alla… » (Béréchit XXIX, 2) ; lorsqu’il aperçoit son frère « Yaakov leva ses yeux et vit…» (Id.XXXIII, 1). Concernant Moché, il est écrit : « Moché se dit je veux m’approcher, je veux examiner ce grand phénomène pourquoi le buisson ne se consume pas » (Chémot III, 3). D’après nos Sages je veux m’approcher נא אסורה signifie : dois-je tourner la tête ? Ce n’est pas machinalement qu’il va tourner la tête, mais parce qu’il a estimé que le phénomène mérite d’être examiné.
Lorsque Yossef voit son père croiser les mains pour poser sa droite sur la tête d’Ephraïm, il sait que cet acte est porteur de sens, qu’il désigne une plus grande importance laquelle, selon lui, doit revenir à Ménaché, le premier né. Il craint une erreur d’appréciation. C’est pourquoi Yaakov lui répond qu’il sait que Ménaché est l’aîné, mais c’est Ephraïm qui mérite la main droite. Ménaché est « potentiellement » plus grand du fait qu’il est l’aîné, mais Ephraïm se « réalisera » davantage. Yaacov le sait par le roua’h hakodech (l’esprit prophétique). De Ménaché sortira Guideon, d’Ephraïm Yéhochoua.
Yéhochoua sera plus grand, non seulement parce qu’il mènera la conquête de la Terre, qu’il enseignera la Torah, mais surtout parce qu’il arrêtera « le soleil à Guivon et la lune dans la vallée d’Ayalon ». Parce qu’il réalisera, à ce moment là, le but de la création de l’homme : être le Maitre de la nature, comme il est dit « qu’est donc l’homme que tu penses à lui? Le fils d’Adam que tu protèges? Tu lui as donné l’emprise sur les œuvres de tes mains et mis tout à ses pieds » (Tehilim VIII, 7).
Chacun d’entre nous renferme des « potentiels » qu’il importe de concrétiser. Et ce qui compte, c’est ce que nous aurons traduit dans les actes. C’est pourquoi, sur la tête d’Ephraïm l’ancêtre de Yéhochoua, la main droite de Yaakov méritait d’être posée.
Chabbat Chalom Oumevorakh