Parachat VAYICHLA’H

« Il arriva, tandis qu’Israël résidait dans cette contrée, que Réouven alla cohabiter avec Bilha, concubine de son père; Israël en fut instruit… Or les enfants de Yaakov furent douze » (Beréchit XXXV, 22).

Nos sages (Chabbat 55b) sont catégoriques et affirment que celui qui dit que Réouven a fauté se trompe ! « Israël en fut instruit » (litt. il l’entendit) et il a eu peur mais une voix du ciel le rassure (Sifri) et le verset poursuit « les enfants de Yaakov furent douze : les fils de Léah, Réouven … », douze, c’est-à-dire tous dignes de leur père, tous à égalité, donc tous des Tsadikim, des Justes, Réouven inclus, sinon il n’aurait pas été cité.

Le fait est que Réouven a profané la couche de son père, en ce qu’il y a mis du désordre, et le texte lui en tient rigueur comme s’il avait commis l’adultère. Pourquoi et en quoi aurait-il troublé la couche de son père? C’est qu’après la mort de Rahel, Yaakov avait déplacé son lit, qui se trouvait constamment dans la tente de Rahel, et l’avait installé dans la tente de Bilha, sa servante. Réouven prend fait et cause pour sa mère Léah en disant : « si Rahel, la soeur de ma mère, a été sa rivale, faut-il que sa servante, Bilha, soit aussi la rivale de ma mère? » C’est pourquoi il déplace la couche de son père et la met dans la tente de sa mère (voir aussi Rachi).
Comment comprendre, cependant, que la Torah ait qualifié la conduite de Réouven de conduite incestueuse? Le Rav Haïm Fridlander zatsal dans son livre Sifté Haïm (Emouna Oubéhira tome 2, 414) répond, d’après une explication du Maharal de Prague sur une Guémara (Moëd Katan 18b), elle-même, très surprenante. La Guémara nous apprend du verset « ils furent jaloux de Moché, dans le camp… » (Téhilim CVI, 16) que chacun des enfants d’Israël « jalousait » Moché. Ce terme « jalousait » désigne dans la Torah l’avertissement adressé par un homme à sa femme : « ne t’isole pas avec un tel ». Cette mise en garde est le début du processus qui rend la femme Sotta (soupçonnée d’adultère).

Mais peut-on vraiment imaginer que chaque homme en Israël ait recommandé à sa femme de ne pas s’isoler avec Moché, Moché Rabénou, le serviteur de D…, l’Homme au-dessus de tout soupçon ?
Le Maharal (Béér Hagola page 96) répond que dans un couple la femme est le חומר (la matière, la parure) et l’homme la צורה (la forme, l’esprit). L’homme apporte la spiritualité et définit la ligne de conduite tandis que la femme met tout en oeuvre pour aller dans cette direction. Lorsqu’un homme, extérieur, intervient dans la vie du couple, il apporte une empreinte, qui pénètre dans le couple et prend quelque part la place même du mari, ce qui peut être comparé à un adultère.

A l’époque de Moché les femmes rapportaient souvent à leur mari les recommandations de Moché sur différentes lois et la conduite à tenir. Les maris, de ce fait, perdaient leur rôle directeur dans le foyer. Cette intrusion était vécue comme si leur épouse se détournait d’eux-mêmes, et c’est pourquoi ils furent jaloux de Moché. Les femmes auraient pu rapporter simplement, les enseignements de Moché, à leur mari qui auraient, eux, défini leur place au sein de leur couple.

On comprendra dès lors le reproche fait à Réouven. Ce n’était pas à lui d’intervenir dans les choix de Yaacov. Dans son initiative il prend partiellement la place de son père, interfère dans les décisions et la vie du couple, ce qui lui est compté comme un comportement adultérin.

SHABBAT SHALOM