« Si un homme fait un vœu ou un serment (…) il ne peut violer sa parole : tout ce qu’a proféré sa bouche, il doit l’accomplir » (Bamidbar XXX, 3). Les commentateurs s’interrogent : même en pleine action, l’homme garde la possibilité de modifier son comportement, voire de l’annuler, pourquoi donc la parole est-elle si particulière qu’il ne puisse y revenir sans transgresser ?
Le Rambam dans son Moré Névoukhim (Tome 3, ch. 8) explique que lorsqu’un homme commet une action fautive, c’est son côté matériel, sa partie animale qui aura fauté. La pensée, elle, est sa partie spirituelle, et elle se doit d’être utilisée pour les choses les plus élevées. A cet égard nos Sages disent que la pensée fautive est plus grave que la faute commise (Yoma 29a). Les préoccupations du corps à des besoins matériels sont, en quelque sorte, choses normales, liées à la nature de l’homme. Mais sa partie spirituelle doit toujours rester, elle, au dessus des contingences matérielles. Traduite en parole, elle est un engagement qu’on ne peut enfreindre !
L’homme est comme l’animal prisonnier d’une enveloppe physique, mais il en diffère par la pensée, et par la parole. Comme dit le verset : « (l’Eternel) fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (Beréchit II, 7), que traduit Onkélos par « l’homme devint un être qui parle ». Rachi ajoute, également, que « les animaux sont aussi appelés ‘’êtres vivants’’, cependant l’homme (…) a en plus, l’intelligence et la parole ». Et ces particularités le distinguent du reste de la Création.
Les ‘Hakhamim nous enseignent que celui qui fait attention à tout ce qu’a proféré sa bouche est aussi assuré de voir la réalisation de sa parole . « Il doit l’accomplir (Yaassé)» poursuit le verset, maisle mot Yaassé peut aussi se lire « Yéassé » = se fera, s’accomplira ! Ce qui confère à la parole un certain pouvoir créateur.
La Torah rapporte l’épisode des tribus de Gad et de Réouven qui ont demandé à recevoir leur part d’héritage, de l’autre côté du Jourdain, dans une contrée très avantageuse pour leur bétail. Moché accepta, à condition qu’ils passent d’abord le Jourdain pour combattre avec leurs frères, et qu’après seulement, ils s’en retournent, prendre possession de leurs terres. Ils répondirent : « Tes serviteurs feront comme mon seigneur l’ordonne (…) tandis que tes serviteurs, tous ceux qui peuvent s’armer pour la milice, marcheront aux combats devant l’Eternel, comme l’a dit mon seigneur » (Bamidbar XXXII, 25-27).
Pourquoi toutes ces répétitions : « comme mon seigneur l’ordonne », puis « comme l’a dit mon seigneur » ? Ils n’avaient pas besoin non plus de dire « tous ceux qui peuvent s’armer pour la milice, marcheront aux combats devant l’Eternel », puisque c’est justement ce que Moché leur avait demandé et qu’ils avaient déjà répondu : « nous ferons comme mon seigneur l’ordonne ! »
Le Maharil Diskin zatsal répond, que comme dit le verset : « Tu formuleras des projets et ils s’accompliront en ta faveur » (Iyob XXII, 28). Aussi : « Lorsque la terre sera conquise devant l’Eternel, alors vous reviendrez » (Id. XXXII, 22). Moché leur ayant dit : « Vous reviendrez », ils avaient donc sa promesse de retourner sains et saufs. Et c’est ce qui arriva, personne ne tomba au combat ! De fait, c’était aussi un gage de longévité pour tout celui qui sortait en guerre. Les plus âgés, qui avaient dépassé l’âge de porter les armes, souhaitaient néanmoins, être assurés de vivre jusqu’à la fin de la conquête. C’est pourquoi ils réclamèrent, eux aussi, de pouvoir les accompagner. Et donc le verset : « Tes serviteurs feront comme mon seigneur l’ordonne », parle de tous ceux en état de prendre les armes. « Tandis que tes serviteurs, tous ceux qui peuvent s’armer pour la milice (les ‘Haloutsé Tsava) » désigne en fait ceux qui ne peuvent plus lutter et qui sont en retrait de l’armée. Ils sont décrits par le terme « ‘Haloutsé », dépouillés (à rapprocher du mot ‘Halitsa, déchaussement, de celui qui refuse d’accomplir la mitsva du lévirat). Ces « âgés » eux aussi « marcheront aux combats devant l’Eternel, comme l’a dit mon seigneur », afin de recevoir la bénédiction de Moché et l’assurance de vivre plus longtemps.
Chabbat Chalom Oumévorakh