« Avec justice tu jugeras ton semblable » (Vayikra 19,15). Rachi explique que ce verset est à prendre au sens littéral, mais aussi, comme nous l’enseigne la Guémara (Sanhedrin 32a) : « Juge ton prochain en lui accordant un préjugé favorable. » Certes, par définition tout jugement se veut juste, sans favoritisme, mais ici le mot justice (Tsédek) fait allusion au Tsadik (au Juste) présumé innocent.
C’est d’ailleurs dans la situation, où l’incertitude est à 50 pour 100, que la Torah nous commande de juger l’autre avec indulgence en lui accordant le bénéfice du doute. Mais dans les cas où tout porte à croire que ses intentions sont malveillantes, nous ne sommes pas tenus de le juger positivement.
La Guémara (Chabbat 127b) nous rapporte l’histoire d’un homme qui avait quitté sa maison, en haute Galilée, au nord d’Israël, pour aller travailler, pendant trois ans, dans un champ au sud du pays. Le jour de son retour chez lui, la veille de Kippour, il demande à son employeur de lui payer ses années de travail afin qu’il puisse rejoindre sa famille pour les fêtes. Mais l’employeur lui répond qu’il n’a pas d’argent pour le régler. L’ouvrier accepte alors d’être payé avec du bétail, des fruits ou même des habits et des couvertures, mais son patron lui répond qu’il n’a rien à lui donner. Notre pauvre homme prend alors son baluchon et rentre, sans rien, chez lui. On peut facilement imaginer sa déception, celle de sa famille et dans quelles conditions se passent les fêtes du mois de Tichré.
Aussitôt après les fêtes, son employeur arrive chez lui, avec le salaire des trois années de labeur, et l’interroge sur sa réaction au refus de ses demandes. Notre homme lui répond qu’il s’était dit que certainement l’argent avait été utilisé précipitamment pour une affaire urgente, que les bêtes avaient peut-être été louées, que les fruits n’étaient pas encore aptes à la consommation car la dime n’avait pas été prélevée, ou qu’il avait peut-être fait don de tous ses biens au Temple.
Son employeur lui dit alors qu’effectivement c’est ce qui s’était passé et le bénit en lui disant : « De même que tu m’as jugé avec bienveillance, que le ciel te juge, de même, favorablement. »
Le Hafetz Haïm zatsal (dans Chmirat halachon chaar 2, ch 4) déduit de cette histoire que quand bien même le bénéfice du doute paraît lointain le jugement bienveillant sera récompensé ; « mida keneked mida », mesure pour mesure, le tribunal céleste le jugera de même.
Cependant une question se pose. Si nous ne connaissons pas, nous, les intentions secrètes des autres, l’Eternel, Lui, qui « sonde les cœurs », sait parfaitement quels sont les sentiments de chacun. Que signifie alors qu’on soit jugé positivement par le tribunal céleste?
Le Hafetz Haïm répond que l’homme est bien sûr jugé en fonction de ses actes. Mais pour une Mitsva, le tribunal céleste pourrait l’agréer sans tenir compte de l’absence d’amour, de joie, ou de ferveur qui auraient dû l’accompagner. Et inversement pour une mauvaise action, l’Eternel peut décider de ne pas en tenir compte, considérant que l’homme a agi par manque de connaissance ou dans un moment de difficulté. Tout dépendra donc de la manière dont on juge soi-même son prochain. « De même que tu l’as jugé favorablement, le ciel te jugera toi aussi à ton tour positivement. »
Chabbat Chalom Oumévorakh